Contexte

Selon les dernières statistiques publiées par le HCR, plus de 1 million de réfugiés Syriens vivent au Liban[1], ce qui en fait le pays qui accueille le plus large nombre de réfugiés syriens per capita. Le gouvernement libanais refuse systématiquement de donner un statut formel au camps informels[2] et, le 6 mai 2015, a obligé le HCR à ne plus enregistrer aucun réfugié syrien. Cette décision représente une menace pour les moyens de subsistance, la dignité et la qualité de vie de ces réfugiés.

La situation actuelle des femmes et filles réfugiées est un souci particulièrement urgent. D’après un rapport des Nations Unies, 17% des ménages de réfugiés syriens au Liban sont gérés par des femmes[3]. Ces femmes luttent pour faire face au coût élevé de la vie, ne disposant pas de revenus suffisants pour garantir la sécurité alimentaire et un logement pour elles-mêmes et leurs familles. Dans ces conditions, les femmes et les jeunes filles risquent d’avantage d’être soumises à une pluralité de pratiques discriminatoires, de même qu’à des actes de violence sexuelle.

Afin de lutter contre certains de ces défis, Soutien Belge (SB) OverSeas a décidé d’accroitre ses efforts pour répondre à une menace généralisée et croissante qui affecte les jeunes filles réfugiées : le mariage précoce. Le terme ‘mariage précoce’ est utilisé pour désigner le fait pour des individus de conclure un contrat de mariage formel ou une union informelle avant d’avoir atteint l’âge légal pour se marier défini dans leur pays. En outre, si on considère qu’un enfant ne peut pas librement et consciemment exprimer son consentement au mariage, le mariage précoce peut être également considéré comme un mariage forcé[4].

Alors que cette question affecte également les Palestiniens et les Libanais dans le pays, le mariage précoce est d’autant plus répandu parmi la population syrienne[5], passant de 13% avant le conflit syrien, à 39% en 2016[6]. En effet, comme le montrent certaines études, il y a une forte corrélation entre le conflit syrien et le déplacement de personnes qu’il a créé, et la hausse du taux des mariages précoces, à cause des conditions de vie précaires dans lesquelles les réfugiés syriens vivent[7].

Les normes relatives aux droits humains et le cadre juridique libanais

En mars 2017, un projet de loi établissant l’âge minimum du mariage à 18 ans a été présenté devant le parlement libanais[8]. La proposition avait été originairement préparée par une organisation non-gouvernementale (ONG), appelée “Lebanese Women’s Democratic Gathering”. Cependant, le projet de loi doit encore être approuvé par les comités compétents avant qu’il ne soit intégré dans la législation libanaise.

Il n’y a donc pour le moment aucune loi au Liban qui détermine l’âge minimum du mariage. Par conséquent, l’âge auquel les individus sont considérés éligibles au mariage est dicté par leurs communautés religieuses. Dans ce contexte, l’âge du mariage est descendu jusqu’à 15 ans pour les garçons et 9 pour les filles.

L’établissement d’un cadre légal qui interdit le mariage en-dessous de 18 ans permettrait au gouvernement libanais de respecter les normes internationales prévues dans :

  • La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée en 1991 et qui considère tout être humain au-dessous de 18 ans comme un enfant[9];
  • La Convention des Nations Unies sur 1’élimination de toutesles formes de discrimination à 1’égard des femmes, ratifiée en 1997 et qui déclare dans son article 16§2 que “Les fiançailles et les mariages d’enfants n’auront pas d’effets juridiques et toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, seront prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l’inscription du mariage sur un registre official[10]”.

Toutefois, il faut signaler que le Liban n’a pas signé la Convention de 1962 sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages[11], avec son obligation pour les Etats de fixer un âge minimum pour le mariage.

Les causes principales du mariage précoce

Un certain nombre de facteurs sont liés à l’augmentation des mariages précoces, y compris les facteurs économiques, politiques et sociétaux. En ce qui concerne la situation des réfugiés syriens au Liban, on peut identifier deux facteurs comme principalement responsables des mariages précoces :

  1. Les conditions vie économiquement précaires des familles : les familles qui ont cherché refuge au Liban sont souvent incapables de subvenir à leurs besoins quotidiens de base à cause de l’absence de perspectives financières. Le mariage des enfants, surtout des jeunes filles, peut apporter une compensation financière aux familles en difficulté. La nourriture et les services sont souvent très chers pour les réfugiés, et les logements abordables sont généralement inadaptés à l’hébergement de toute une famille. Les familles peuvent donc être tentées de marier leur fille afin de moins souffrir des frais à leur charge. Nos collègues sur le terrain ont observé plusieurs cas de familles qui arrangeaient des contrats de mariage pour plusieurs filles au même temps, afin de diminuer la pression économique sur la famille-même. La mauvaise situation économique de ces réfugiés est davantage exacerbée par le difficile processus d’obtention du statut de réfugié et du permis de travail.
  2. Le manque de sécurité : De nombreuses femmes réfugiées doivent prendre leur famille à charge et l’absence d’une figure autoritaire masculine accroit le risque de mariage précoce pour les filles. Le manque de figures masculines dans les familles rend les femmes, qui en sont à la tête, soucieuses pour la sécurité et la réputation de leurs filles. Les marier est donc considéré comme un moyen pour les protéger de l’exploitation ou de la violence sexuelle. Par ailleurs, la situation est d’autant plus grave que le nombre de femmes et d’enfants dans certaines zones s’élève jusqu’à 75% de la population réfugiée, comme cela l’a été observé par notre équipe au Liban.

A ces causes principales, il est essentiel d’ajouter la pression externe exercée par les mères sur les jeunes filles. Nous avons remarqué que 65% des mariages précoces étaient décidés et soutenus par les mères. Nous avons aussi observé que les traditions culturelles pouvaient légitimer la pratique des mariages précoces.

De plus, l’accès difficile à l’éducation pour les réfugiés syriens[12] a accentué les vulnérabilités à l’origine du mariage précoce. L’éducation permet aux jeunes filles de prendre conscience des risques du mariage précoce et de retarder leur mariage jusqu’à la fin des études secondaires[13]. Ce manque d’accès à l’éducation peut avoir un impact très négatif sur les jeunes réfugiées syriennes et les exposer à des risques majeurs.

Conséquences du mariage précoce

La présence de SB OverSeas dans différentes villes libanaises – Beyrouth, Saida et Arsal – a permis aux employés locaux et aux volontaires d’observer les répercussions du mariage précoce sur les filles réfugiées.

La première conséquence notée a été l’abandon des études par les filles, surtout après leur grossesse. L’éducation étant essentielle tant à la prévention de cette pratique qu’à la promotion de l’autonomisation des femmes, leur désertion des écoles est d’importance première. En outre, certaines d’entre elles sont réticentes à se marier avant d’avoir terminé leurs études et expriment, pendant nos activités de développement personnel, leur désir de choisir librement leur futur.

Deuxièmement, le mariage précoce a conduit beaucoup de fille à se suicider, après avoir subi des violences de la part de leur mari et de sa famille.

De plus, lorsque ces jeunes filles ne se donnent pas elle-même la mort à cause de violences domestique que nous avons constaté sur le terrain, ces violences causent elles-mêmes, dans certaines circonstances, la mort des jeunes filles. C’est les cas, par example, d’une jeune fille de notre centre pour adolescents à Arsal qui est morte le jour suivant son mariage. Son corps n’a en effet pas pu supporter son premier rapport sexuel dû à sa jeunesse. Par ailleurs, les jeunes filles sont exposées à un risque plus élevé de décès au cours de la grossesse et lors de l’accouchement par rapport aux femmes de 20 – 24 ans[14].

Troisièmement, les mariages précoces aboutissent plus fréquemment à des divorces et les femmes divorcées en souffrent particulièrement. Cela est dû à la marginalisation de la part de leurs familles et de la société en général. Les jeunes filles ne sont souvent pas prêtes à gérer les tâches ménagères et à répondre aux besoins des leurs maris, ce qui conduit à des mariages qui ne fonctionnent pas et finissent en divorces. En outre, des mariages précoces sont parfois conclus pour assouvir les désirs sexuels des hommes vivant dans les camps, qui divorcent donc de leurs jeunes épouses quelques mois plus. De plus, les filles divorcées qui malgré tout ont gardé des contacts avec leurs familles, se retrouvent souvent obligées par ces dernières de se marier une deuxième ou troisième fois, afin d’obtenir des nouvelles compensations financières.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, la plupart des mariages précoces conclus entre filles syriennes et hommes libanais ou réfugiés ne sont pas officiellement enregistrés. Quand des enfants naissent de ces unions informelles, ils n’ont pas la possibilité d’être enregistrés, ce qui a pour conséquence directe de créer des générations existant dans un vide juridique (sans droit à la santé, à l’éducation, à la nationalité etc.[15]).

Les actions de SB OverSeas

Le mariage précoce représente un des principaux défis auxquels SB OverSeas essaie de s’attaquer. A cette fin, nous avons mis en place une variété de programmes destinés à réduire et prévenir la pratique du mariage précoce. Plus généralement définis comme « programmes d’autonomisation » (Empowerment Programmes), ils sont adressés aux jeunes filles réfugiées entre 15 et 18 ans et aux femmes entre 19 et 36 ans, dans le but de dispenser les connaissances et les ressources nécessaires pour accroitre leur pouvoir décisionnel, leur indépendance et leur contrôle.

Nous centrons nos efforts sur 3 domaines :

  • Les Formations professionnelles et spécifiques sur des compétences monnayables, adaptées aux besoins et aux désirs des filles adolescentes et des femmes, afin de les aider à renforcer leur estime de soi et de promouvoir leur autonomisation économique (4567 femmes et filles adolescentes ont participé depuis 2014).
  • Les Cours d’alphabétisation, d’arithmétique et d’art pour fournir aux jeunes filles des compétences basiques dans la lecture, l’écriture et l’arithmétique, les rendant indépendantes et capables de s’exprimer avec créativité. Nous offrons aussi des cours d’anglais et des formations sur la citoyenneté afin qu’elles développent le respect d’elles-mêmes, l’affirmation de soi et la solidarité (530 ont fréquenté nos cours depuis 2014).
  • Le Développement personnel et les séances de sensibilisation, pour aider les filles adolescentes à développer leurs compétences décisionnelles et les sensibiliser sur la question du mariage précoce, sur la violence de genre, l’adolescence et les droits humains (686 filles ont été éduquées depuis 2014).

Nos cours sont donnés par des enseignants formés et qualifiés, pendant une période de six moins. Environ 10-20 participants assistent à chaque séance de deux heures, qui se déroulent trois fois par semaine. Nos centres de formation sont établis à coté de zones d’installation des réfugiés à Beyrouth, Saida et Arsal.

Notre atelier de Développement Personnel, en particulier, a été créé en réponse à la pratique des mariages précoces forcés, fréquents dans le camp de Shatila à Beyrouth et qui affectent même des filles de 11-13 ans. Nous croyons que, non seulement il est important de fournir aux jeunes filles des compétences techniques, mais aussi qu’elles puissent développer une autonomie et une confiance en elles-mêmes afin qu’elles puissent exercer un contrôle sur leurs vies. Alors seulement, elles peuvent passer de victimes à agents de changement dans leurs communautés.

Nos matières principales comprennent l’éducation des filles quant aux souffrances sociales, physiologiques et psychologiques du mariage précoce et la sensibilisation sur des thèmes tels que la violence de genre, mais aussi leurs droits et leurs responsabilités. Nous leur fournissons un espace sûr où elles peuvent demander une aide ou des conseils et où elles peuvent partager leurs histoires de violences et abus, les aidants à reconstruire leur confiance, estime de soi et autonomie.

Afin de les soutenir dans leur processus de guérison, nous offrons aussi un soutien psychologique à nos participantes au travers de visites à domicile mais aussi en s’occupant de cas individuels ou familials. Les actions professionnelles et psychologiques que nous offrons sont essentielles pour les aider à faire face aux différents défis auxquelles elles sont confrontées. Elles doivent en effet être un soutien pour leur famille, assister efficacement et participer activement au sein de leurs communautés, et tout cela en même temps.

Recommandations aux décideurs politiques

Malgré nos projets sur le terrain, qui sont fondamentaux pour la prévention des mariages précoces à travers l’autonomisation des filles réfugiées, nous considèrerons que les législateurs de l’Union Européenne (UE), et la communauté internationale plus en général, ont la responsabilité de soutenir nos efforts et de collaborer avec nous afin de s’attaquer à la pratique des mariages précoces. Dans le cadre des « Migrations Compacts » et des Priorités signés entre l’UE et les autorités libanaises, nous leur demandons donc de :

  • Renforcer la pression sur le gouvernement libanais pour l’établissement d’une législation qui fixe l’âge minimum du mariage ;
  • Insister afin que les autorités libanaises permettent l’enregistrement des Syriens comme réfugiés, s’assurant qu’une future législation sur le mariage s’applique aux femmes et filles syriennes ;
  • Soutenir financièrement les ONG locales et internationales qui opèrent sur le terrain pour la prévention des mariages précoces, qui travaillent pour sensibiliser les jeunes filles sur cet enjeu et qui les aident à acquérir indépendance et contrôle sur leurs vies ;
  • S’attaquer à l’enjeu des enfants non enregistrés, avec la participation d’acteurs clés, tels que le gouvernement libanais et le HCR ;
  • Exercer pression sur les autorités libanaises concernant le besoin d’éradiquer la pratique des mariages précoces.

[1] UNHCR, Syria Regional Refugee Response, 2017

[2] Forced Migration Forum, Why Are There No Syrian Refugee Camps in Lebanon?, 2017

[3] NHCR, UNICEF et WFP, Vulnerability Assessment of Syrian Refugees in Lebanon, 2016

[4] Human Right Without Frontiers, “Child, Early, and Forced Marriage & Religion”, 2017

[5] Philippe Lazzarini, Preventing child marriages, 2017

[6] UNICEF, Draft country programme document – Lebanon, 2016

[7] ABAA and the Arab Institute for Human Rights, Regional seminar on Child Marriage during democratic transition and armed conflicts, p.16, 2015

[8] Human Rights Watch, Lebanon: Pass Bill to End Child Marriage, 2017

[9] Convention relative aux droits de l’enfant (1989), [FR]

[10] Convention sur 1’é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes (1979) [FR]

[11] Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages

(1962) [FR]

[12] Government of Lebanon and the United Nations, Lebanon Crisis Response Plan 2017-2020, 2017

[13] Environmental Research and Public Health, Early Marriage and Barriers to Contraception among Syrian Refugee Women in Lebanon: A Qualitative Study, 2017

[14] ABAA and the Arab Institute for Human Rights, Regional seminar on Child Marriage during democratic transition and armed conflicts, 2015

[15] UNICEF, Factsheet: birth registration

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