Selon le dernier rapport du HCR, « Global Trends, Forced Displacement », fin 2016, 65,5 millions de personnes avaient été déplacées à cause des persécutions subies, des conflits, des violences ou des violations des Droits de l’Homme.[1] Parmis ces 65,5 millions de personnes déplacées, 22,5 sont enregistrées comme réfugiés.[2] Aujourd’hui, Portail Interagence de partage de l’Information indique que 5 344 184 personnes sont enregistrées comme réfugié syrien.[3] Le nombre de réfugiés syriens en Turquie devient alors, sur base de ces chiffres, très inquiétant.

En effet, au 5 novembre 2017, ce nombre atteignait 3,28 millions.[4] Il faut noter que c’est la troisième année consécutive que le HCR a désigné la Turquie comme le pays accueillant le plus de réfugiés.[5] En effet, le ratio de réfugié syrien en Turquie est de 1 pour 24 citoyens turcs.[6] A titre de comparaison, en Europe, ce ratio est de 1 pour 508.[7] De plus, les importants flux migratoire que nous observons ces dernières années font chaque jour évoluer ces chiffres. Face à leur ampleur, la Turquie s’est trouvée dans une situation à laquelle elle n’était pas préparée ni du point de vue administratif, ni du point de vu logistique.

C’est dans ce contexte qu’a été adopté l’Accord sur l’immigration entre la Turquie et l’Union européenne. Son principal objectif était de partager les responsabilités relatives à la crise migratoire. L’un des domaines dans lequel la Commission Européenne s’est engagée à agir est justement l’éducation puisqu’il s’agit d’un domaine particulièrement compliqué à gérer pour la Turquie. En effet, la Commission Européenne a estimé en Mars 2017, que le nombre d’enfants réfugiés syriens en Turquie atteignait 1,3 millions.[8] Selon les derniers statistiques obtenus 49% de ces enfants n’étaient pas enregistrés dans une école et, en ce qui concerne les 51% l’étaient, 18% fréquentaient les établissements publics turcs  et 32,4% fréquentaient les centres de réintégration éducative.

Ces centres ont cependant été fermés par l’Etat turc qui craignait que ces centres, dont le curriculum était en arabe, ne permettent pas l’intégration des enfants syriens dans le système turc. Le but de la fermeture de ces centres était donc d’encourager ces enfants à intégrer les écoles turques. Malheureusement, le résultat obtenu n’a pas été celui attendu. En effet, les enfants qui auparavant fréquentaient les centres de réintégration éducative n’étaient pas prêts à intégrer le système turc, ce qui a eu pour conséquence l’arrêt des études pour ces enfants. Il s’agit là d’un vide auquel Soutien Belge OverSeas a pour but de trouver des solutions.

La législation en vigueur

La Turquie s’est engagée à respecter le droit à l’éducation en ratifiant les principaux traités auxquels elle est partie. Cela inclus la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme[9], le Pacte International Relatifs aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels,[10] la Convention Internationale des Droits de l’Enfant,[11] la Convention sur l’Elimination de Toute forme de Discrimination à l’égard des Femmes[12] et le Protocole Additionnel à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.[13]

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant en particulier, prévoit que les Etats signataires doivent prendre « les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits Etats sont parties » (Article 22).

D’autre part, la Convention relative au Statut de Réfugié de 1951 et Son protocole additionnel de 1967 disposent que « les Etats Contractants accorderont aux réfugiés le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne l’enseignement primaire » et, en ce qui concerne les catégories d’enseignement autre que l’enseignement primaire, qu’ils « accorderont aux réfugiés un traitement aussi favorable que possible, et en tout cas non moins favorable que celui qui est accordé aux étrangers en général dans les mêmes circonstances ».[14] Cependant, parce que la Turquie a émis des réservations relatives à ce traité qui limite son application « aux personnes qui sont devenues des réfugiés par suite d’événements survenus en Europe », excluant donc de son champ d’action les victimes du conflit syrien qui dépendent alors de la loi turque sur les étrangers et la protection internationale de 2013.

Cette loi établit les droits des bénéficiaires de la Protection Temporaire. En effet, le Règlement relatif à la Protection Temporaire d’octobre 2014 prévoit que les bénéficiaires « peuvent bénéficier de […] l’instruction » et que les cours pour les étrangers « devront être dispensés à l’intérieur et à l’extérieur [des camps] sous le contrôle et la responsabilité du Ministère de l’Education Nationale […] et en accord avec la législation du Ministère de l’Education Nationale ».[15]

Cependant, au regard des chiffres dont il est fait état dans l’introduction, on peut observer que la situation en Turquie ne répond pas aux normes internationales et nationales en matière de droits de l’homme.

On comprend alors facilement pourquoi la Commission Européenne a mis en place des programmes tels que le Plan d’aide sociale d’urgence et le Transfert d’espèces conditionnel en faveur de l’éducation afin de remédier aux difficultés d’accès à l’éducation pour les réfugiés et demandeurs d’asiles en Turquie. Malheureusement, ces deux mécanismes ne remplissent pas pleinement leurs objectifs et n’offrent pas de solutions à long terme.

Kilis et Gaziantep délaissés

Compte tenu de tout ceci, Soutien Belge OverSeas a décidé de réaffirmer son engagement envers les réfugiés et demandeurs d’asile syriens en Turquie. En effet, à l’heure actuelle beaucoup d’enfants vivent dans la rue, sont obligé de travailler pour soutenir leurs familles ou ne peuvent simplement pas aller à l’école parce qu’ils ne peuvent pas payer pour les transports, les livres et le matériel scolaire. Nous considérons donc essentiel la prise de conscience sur la réalité de ces enfants n’ayant pas accès à l’éducation et sur le besoin urgent de faciliter cet accès. Il s’agit de la seule solution viable pour permettre à ces enfants de sortir de la rue et retourner à l’école, unique façon pour eux de pouvoir se construire un nouvel avenir.

Malgré la présence de SB OverSeas sur le terrain depuis 2015 grâce à nos partenaires à Kilis et Gaziantep, nous avons rencontrés plusieurs difficultés pour rassembler des données exactes sur la situation réelle. Cela est principalement dû à l’instabilité de la réalité sur le terrain et aux difficultés notoires pour obtenir des données concernant la situation en Turquie. Cependant, grâce à ce que nos partenaires ont pu observer sur le terrain, nous pouvons affirmer que le nombre d’enfants non scolarisés à Kilis s’élève à 5.000 sur un total de 150.000 réfugiés. En ce qui concerne le cas de Gazientep, des statistiques claires ne peuvent pas être fournies, mais nous avons pu noter qu’à cause de la densité élevée de la population et du fort taux de chômage, le nombre de réfugiés dans la rue est considérable.

La raison principale de la présence d’enfants dans la rue doit être attribuée à l’absence de revenus des familles. La pauvreté au sein de la communauté des réfugiés a maintes conséquences sur leurs opportunités d’éducation. Outre les obstacles rencontrés concernant le paiement des transports, des livres et du matériel scolastique, les enfants sont souvent la seule source de revenus au sein de leurs familles.

Une deuxième cause est liée aux difficultés rencontrées pour obtenir la carte d’identité de protection temporaire nécessaires aux enfants réfugiés afin d’intégrer les écoles publiques. A Kilis et Gazientep, leur distribution est actuellement suspendue, ce qui empêche les enfants d’aller à l’école. Bloqués dans par cette immobilité administrative, certains enfants ont réussi à obtenir la carte d’identité de protection temporaire dans d’autres villes, ce qui les oblige à s’inscrire dans l’école dans la ville de délivrance de la carte, alors qu’ils habitent à Gaziantep ou Kilis.

Un troisième facteur responsable de la non-scolarisation des enfants est la barrière linguistique à laquelle ils sont confrontés. Une fois finalement inscrits et acceptés dans le système éducatif turc, les enfants sont souvent découragés parce qu’ils parlent l’arabe et ne comprennent pas le turc.

Cette situation n’est pas nouvelle. La Commission européenne elle-même, parmi d’autres organisations internationales, avait fait cette déclaration dans le cadre de sa volonté de contribuer à la résolution de la « crise des réfugiés ».[16] Néanmoins, nous sommes convaincus que cet enjeu n’a pas été traité de manière adéquate.

Recommendations

La mise en place de projets éducatifs au Liban est considérée comme une grande réussite pour Soutien Belge OverSeas. Ces projets permettent aux enfants réfugiés d’avoir accès à l’éducation publique après avoir participé à nos programmes de 6 mois. Sur la base de cette expérience, nous sommes convaincus que des projets similaires sont la meilleure solution pour combler le vide créé par les circonstances particulières en Turquie. De plus, les familles de réfugiés expriment leur désir de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école et souffrent donc du contexte actuel qui les en empêchent. Dès lors, nous demandons à la Commission européenne de :

  • Publier une évaluation concernant l’exécution et les résultats des programmes faisant parties de la « Facilité en faveur des réfugiés en Turquie ». En effet, ces programmes, y compris le « Transfert d’espèces conditionnel en faveur de l’éducation » (CCTE) mis en place par la Commission européenne en mars 2017, ne sont pas connus par les réfugiés à Kilis et Gaziantep. Il y a donc un fort besoin de fournir des informations claires concernant les programmes dans ces régions et d’assurer leur mise en œuvre à Kilis et Gazientep, malgré les circonstances difficiles.
  • Augmenter le soutien financier aux ONG qui ont pour mission de venir en aide aux enfants réfugiés en Turquie. Puisque les ONG locales et internationales jouent un rôle fondamental dans l’éducation des réfugiés en couvrant les coûts des transports et du matériel scolaire, il est essentiel de faciliter leurs activités en Turquie où les organisations rencontrent une forte résistance de la part du gouvernement turc. La fermeture d’écoles de rattrapage et les obstacles que les ONG rencontrent dans le domaine de l’éducation en sont des exemples.
  • De s’assurer que les fonds versés à la Turquie par la Commission européenne, destinés aux ONG, soient dans la pratique utilisés par ces dernières.

Le besoin de favoriser l’accès à l’éducation des enfants en Turquie grâce à des programmes temporaires est notamment démontré par la création de quelques écoles de ce type par des familles (comme c’est le cas à Kilis) ou par des ONG qui essayent de donner une formation aux réfugiés mais qui ne disposent pas de moyens appropriés et de ressources suffisantes. Il s’agit là d’un signe d’espoir, mais l’action de la communauté internationale est indispensable pour améliorer la qualité de l’éducation et augmenter le nombre d’enfants inscrits dans les écoles.


[1] UNHCR, Global Trends, Forced Displacement in 2016, p.2

[2] Ibid. p.6

[3] Portail Interagence de partage de l’Information, Réponse Régionale à  la crise des Réfugiés en Syrie

[4] Portail Interagence de partage de l’Information, Réponse Régionale à  la crise des Réfugiés en Syrie, Turquie

[5] Ibid. note 1, p.3

[6] Başak Yavçan, PhD TOBB University of Economics and Technology, FNF & Ralf Dahrendorf Roundtables, Fostering Successful Integration of Syrian Refugees in Turkey, Sept 26th, 2017 Brussels.

[7] Ibid.

[8] EU and UNICEF joint Press Release, EU and UNICEF to reach thousands of refugee children in Turkey with Conditional Cash Transfer for Education, 16 March 2017

[9] Cf. article 26, adoptée le 10 décembre 1948

[10] Cf. Article 13, ratifié par la Turquie en 2003

[11] Cf. Article 28, ratifié par la Turquie en 1995

[12] Cf. Article 10, ratifié par la Turquie en 1985

[13] Cf. Article 2, ratifié par la Turquie en 1954

[14] Cf. Article 22, ratifié par la Turquie en 1968

[15] Cf. Article 22

[16] Commission Européenne, European Civil Protection and Humanitarian Aid Operations, 16 Octobre 2017

 

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