SB OverSeas (08.02.2018) – Originaires de Syrie, Majeda, sa mère et ses cinq frères et sœurs ont quitté leur village natal de Dayr Hafi à la recherche d’une vie stable. Forcés de fuir leur pays à cause du conflit qui y fait rage, les membres de la famille ont traversé la chaîne de montagnes à la frontière syro-libanaise et sont finalement parvenu au Liban en 2017, après une année de transit.
La famille a rejoint le camp de réfugiés de Chatila, situé à la périphérie de la capitale libanaise, où se trouvent des milliers d’autres réfugiés syriens. Majeda a 11 ans et son frère Mohamad en a 10. Ils sont les seuls en mesure de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Majeda est l’aînée, mais comme elle a atteint un âge considéré comme vulnérable, elle n’a pas le droit de travailler seule dans la rue pendant que sa mère s’occupe des plus petits. Majeda et Mohamad passent donc leurs journées ensemble à vendre des mouchoirs dans la rue, comme beaucoup d’autres enfants de Beyrouth.
Majeda est gênée de devoir travailler et ne veut pas que les gens sachent qu’elle se réveille chaque matin à 7 heures pour vendre des mouchoirs à 1000 LL (0,50 €) par pièce. Les mouchoirs viennent en paquets de six pour 5000 LL, ce qui lui permet de garder un profit de 1000 LL. Elle se fait accompagner de son frère de sept ans parce qu’il est dangereux pour elle de vendre des tissus toute seule. Les deux passent des heures dans la rue à parler et à jouer au «Hazura». Majeda fait deviner: «C’est quelque chose de vert, et quand c’est ouvert, c’est rose et noir». Son frère réfléchit un instant avant de trouver la bonne réponse: «La pastèque ! ». Tous les jours, elle parcourt le même trajet à Chatila jusqu’à la tombée de la nuit, avec une pause de trois heures pour aller à l’école « Bukra Ahla ». Majeda fait très attention à rester loin des zones qu’elle ne connaît pas et ne marche que là où sa mère lui dit qu’elle est en sécurité. Majeda dit qu’elle se sent en sécurité et protégée lorsqu’elle se trouve près de sa mère – ce qui témoigne de la force constante de sa mère dans cette situation inimaginable, ayant seule guidé ses six enfants depuis le nord de la Syrie dans un pays déchiré par la guerre.
Chatila est connue pour son niveau élevé de criminalité, de violences et d’abus, au grand désarroi de ses habitants vulnérables. Pendant le Ramadan en juillet dernier, alors que la famille venait tout juste de s’installer au Liban, Majeda est allée demander des restes de fruits et de légumes dans les magasins. Pour les familles les plus démunies, les fruits et légumes avariés et impropres à la vente sont essentiels à leur survie. Ce jour-là, Majeda et son frère ont fait leur demande et le propriétaire a accepté de leur donner des restes. Il a dit à Majeda de le suivre seul dans l’arrière-boutique où les vieux fruits étaient entreposés. Quand ils sont entrés dans la pièce, l’homme a saisi Majeda et a essayé de la harceler et de la toucher. Elle a hurlé et s’est enfuie avec son frère.
Suite à cet incident, Majeda a commencé à craindre les autres et à se mettre en retrait. Lorsque sa mère l’a emmenée voir une organisation médicale à Chatila, on lui a conseillé de se faire suivre par un psychologue. Malheureusement, la famille ne peut pas se permettre cette dépense et les psychologues bénévoles ne sont pas assez nombreux. Majeda continue donc de vendre des mouchoirs dans la rue avec son frère, en évitant la rue où l’épicier qui a tenté de l’agresser vend toujours des fruits et légumes.
Chaque jour, Majeda va directement du travail à l’école. L’école est sa partie préférée de la journée parce que pendant ces quelques heures, elle peut se détendre et s’amuser. Elle fait partie des élèves les plus brillants de Bukra Ahla. Sa voix l’emporte sur celles des autres lorsqu’elle crie la bonne réponse en classe. Dans son cahier, elle note les nouveaux mots en arabe et en anglais afin de pouvoir les étudier plus tard. Elle a du plaisir à apprendre et à aider les autres élèves autour d’elle. Ses sujets préférés sont l’arabe et les mathématiques. Elle aime l’arabe parce qu’elle veut apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle. Elle aime les cours de mathématiques parce que ça fait constamment travailler l’esprit. Elle dit qu’elle n’aime pas quand son cerveau est “éteint”, elle aime être toujours en train de penser. Elle écoute les instructions en classe et est ensuite capable de les expliquer à ses pairs. Majeda est une joie à avoir en classe et sa capacité à animer les discussions de groupe est encourageante pour ses pairs et favorise leur apprentissage. Majeda doit poursuivre ses études car il n’y a aucun doute qu’elle réussira si les circonstances le permettent. Son éducation est la clé pour améliorer sa vie, ainsi que celle de sa famille.
Quand Majeda a du temps libre après le dîner, elle aime jouer avec ses frères et sœurs et avec ses Barbies. Elle a une poupée qu’elle a nommée Amina, offerte par son professeur préféré, Estaz Abdullah. Majeda a nommé Amina d’après le nom de la poupée préférée qu’elle a dû laisser en Syrie. Amina a une robe rose, de longs cheveux noirs et elle est toujours dans la maison de Majeda dans la campagne d’Alep. Cette maison manque terriblement à Majeda, surtout sa terrasse sur le toit où elle pouvait jouer avec Amina. En Syrie, le père de Majeda travaillait et elle allait à l’école et jouait avec ses jouets et ses frères et sœurs à la maison. Elle avait terminé les deux premières années de scolarité dans son village.
En Syrie, Majeda était une enfant. Au Liban, Majeda est obligée d’agir comme une jeune adulte. Après tout ce qu’elle a enduré durant sa courte vie, Majeda est devenue forte, attentionnée, intelligente et enthousiaste. Elle mérite beaucoup plus que ce qu’elle a reçu.
Écrit par Maria Polland, SB Overseas