Ecrit par Kevin Charbel, Chef de projets à Sidon, Liban

Je continue à la voir parfois, marchant autour d’un dédale de couloirs dans le foyer où elle vit. Nos yeux se rencontrent pour un bref moment, elle sourit nerveusement avant de baisser les yeux et de passer à côté de moi silencieusement. A cet instant, je ressens le besoin de venir vers elle, de lui demander comment elle va et ce qu’elle devient, mais je me retiens, parce que je sais que chaque interaction entre nous est un risque pour sa sécurité.

Sarah a été mariée sous contrainte il y a trois mois, à l’âge de 14 ans. Pendant un moment, elle a défié ouvertement son père, le chef de la communauté, en résistant à sa volonté de la marier à un autre adolescent. Elle voulait rester à l’école, continuer à apprendre et rester avec ses amies. Mais au final, son père, épuisé de se confronter à tant de refus, a eu recours à la violence afin de la faire rentrer dans les rangs. Cela n’a pas pris longtemps avant que Sarah soit fiancée. Quand j’ai découvert ce qui s’était passé, je me suis assuré qu’elle savait que nous pouvions la protéger et que nous défendrions son droit de choisir, mais alors, dans son esprit, la seule chose pire que de se marier était de rester vivre avec son père.

Cette étudiante vibrante et effrontée, qui venait autrefois frapper à la porte de mon bureau juste pour me dire bonjour a disparu du jour au lendemain. Son mariage l’a empêchée de continuer son éducation et sa priorité est désormais d’œuvrer aux tâches ménagères. Cette jeune fille de 14 ans vit sous pression d’apprendre à devenir une « bonne épouse », cela signifie qu’elle doit rapidement apprendre les rudiments du ménage de la maison, de satisfaire l’appétit de son mari, mais également à ne pas reculer lorsque ce dernier lui fait des avances sexuelles. Les désirs et Sarah et ses rêves n’ont plus d’importance, sa position dans la société est limitée aux quatre murs qui l’entourent dans sa modeste maison, où l’on attend d’elle d’y rester pendant que son mari est au travail.

On dit souvent aux épouses enfants que plus elles sont obéissantes et soumises, plus facile la transition sera. Ce sont elles qui doivent s’adapter, pas leur mari. Ce sont elles qui doivent faire les sacrifices, qui doivent accepter les difficultés et qui doivent, du jour au lendemain, devenir des femmes. L’imagination de Sarah et son entêtement fier étaient, il fut un temps, un atout dans sa salle de classe, où elle utilisait ces qualités à bon escient. Maintenant, ces traits de sa personnalité la mettent en danger ; elle doit perdre cette part qui fait d’elle ce qu’elle est et doit rentrer dans le moule que son père à confectionné pour elle. Elle n’a pas réellement de choix dans l’histoire, sinon elle serait abandonnée par son mari, et elle n’aurait pas d’autres options que de tout recommencer de zéro, mais sa réputation en ressortirait salie. 

Ses amies, qui sont toujours à l’école, m’ont dit que le père de Sarah la menace de plus de violence encore si elle cherchait à maintenir le contact avec nos équipes. Si elle est isolée, il y a moins de chances qu’elle rejette sa situation, et alors que le temps passe, l’addition de la solitude et de l’intimidation vont conduire Sarah à accepter cette réalité qu’elle n’aurait autrement jamais choisi pour elle-même.

SB OverSeas travaille pour mettre fin à l’augmentation du mariage des enfants dans les camps de réfugiés au Liban en augmentant la sensibilisation sur le terrain. Pour lire nos derniers rapports, c’est ici..

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