Quand les bombardements ont commencé, les personnes étaient paralysées par la peur et l’incertitude, n’ayant jamais vécu pareille chose de toute leur vie. Ensuite, l’école a été frappée alors que les enfants étaient en train de suivre leurs cours à l’intérieur.
Sarah, de même que la plupart des parents du village, a donc décidé qu’il fallait chercher refuge ailleurs, afin de survivre au conflit. Elle est partie et s’est installée avec ses six enfants dans un camp à la frontière turque/syrienne, son mari devant les rejoindre peu de temps après. Elle avait entendu dire que les familles seraient en sécurité là-bas.
Les mois passaient sans nouvelles, jusqu’au moment où elle a été informée que son mari avait été arrêté sur sa route pour les rejoindre, et depuis personne ne l’avait vu ni n’avait entendu parler de lui. Sa situation devenant insoutenable sans lui, elle a été obligée d’entreprendre un deuxième voyage périlleux pour un autre camp à Saida, dans le sud du Liban, où elle savait que certains membres de sa communauté avaient trouvé refuge.
Nour, la fille de Sarah, avait 8 ans quand elles se sont installées dans le camp. Elle y a grandi les 4 années suivantes, en consacrant son temps à prendre soin de ses frères mineurs pendant que leur mère travaillait. Les conditions de vie sont difficiles à Saida ; la plupart des familles y vivent dans une énorme carcasse de bâtiment de 5 étages, d’abord conçue pour devenir une université.
Les murs en béton gris du camp tendent à étouffer la curiosité et l’imagination qui sont propres aux enfants, mais Nour ne les a jamais perdues. Elle avait tout le temps l’air radieux et énergétique et cultivait indistinctement ses relations sociales au sein de sa communauté. Ces attributs, ainsi que sa nature précoce, Sarah les soupçonnent d’être à l’origine des rumeurs et doutes chuchotés par ses voisins et amis quant à la moralité et virginité de Nour.
Dans un tel contexte, une famille sans protection masculine est vulnérable à toute forme d’attaques, surtout si son statut dans la communauté est menacé. Sarah ne considérait pas qu’il était normal que Nour se marie si tôt, particulièrement parce qu’elle-même ne s’était mariée qu’à 20 ans, mais elle ne voyait aucune autre option afin de garantir la protection de sa fille et du reste de ses enfants. Avec le cœur lourd, elle a fait savoir qu’elle cherchait un mari pour sa fille. Presque immédiatement une femme d’une communauté voisine a suggéré son fis comme prétendant. Le lendemain, Nour a été présentée au travailleur en bâtiment de 18 ans et, quelques heures plus tard, elle acceptait de l’épouser.
Un des moments les plus difficiles dans la vie de Sarah a été quand elle a dû expliquer à sa fille de 12 ans ce à quoi s’attendre pendant sa nuit de noces. Lui expliquer que son mari voudrait s’approcher d’elle et qu’il ne fallait pas le repousser s’il l’embrassait. Qu’il lui apprendrait à être une bonne épouse pour lui.
La cérémonie s’est déroulée dans le calme et sans être documentée légalement, l’âge de Nour ne permettant aucune reconnaissance officielle. Le représentant religieux qui a dirigé la cérémonie a rappelé aux familles que son implication ne devait pas être mentionnée.
Nour a déménagé dans la famille de son mari après le mariage, à environ 10 km de chez Sarah. Elle l’appelait régulièrement pour lui dire qu’elle était malheureuse et qu’elle n’aimait pas la manière dont son mari et sa famille la traitaient. Elle ne pouvait rendre visite à sa mère que très rarement, mais elle saisissait chaque occasion pour exprimer son mécontentement, sa tristesse et sa solitude. Finalement, 4 mois plus tard, Nour s’est présentée seule à la porte de sa mère, lui expliquant qu’elle avait fui son mari et qu’elle ne voulait plus le revoir. Sarah a contacté la famille du mari afin de comprendre ce qui s’était passé ; elle a ainsi appris que Nour n’était plus la bienvenue chez eux car qu’ils ne supportaient plus ses enfantillages et son incompétence dans les tâches ménagères.
Le divorce a été conclu la semaine suivante. Nour est maintenant de retour dans sa maison avec Sarah et ses frères, mais tout ce qu’elle veut est qu’on la laisse seule, refusant de sortir de chez elle. L’étincelle qu’elle avait dans ses yeux est remplacée par un vide, son énergie par de l’apathie.
Lorsqu’on l’interroge sur le futur de sa fille, Sarah ne peut pas retenir ses larmes. Elle s’empresse d’expliquer qu’elle regrette d’avoir fait subir à son enfant une telle épreuve et qu’elle espère seulement que Nour puisse redevenir elle-même un jour.