Une femme habillée modestement, au doux visage entouré d'un hijab, s'associe à côté de moi. Le bourdonnement des élèves dans les classes avoisinantes se fait entendre, alors que nous nous sourions l'une à l'autre. Nous nous saluons enfin, dans ce petit bureau de la psychologue résidente, ici, à l'école de SB Overseas, à Sidon, au Liban. Je lui demande alors si je peux écrire son histoire. Elle accepte. Nous commençons à faire connaissance, d'abord en balbutiant quelques mots d'arabe, puis, avec l'aide de la psychologue qui traduit nos propos, nous parlons de beaucoup de choses.

La femme bouge ses mains sur ses genoux, s'ouvrant et se fermant dans une belle gestuelle, allant de pair avec le son de sa voix, au fur et à mesure du récit des dernières années de sa vie. Dans cet endroit sûr, elle me raconte son histoire et me donne son nom. Je suis aujourd'hui honorée de partager ce récit.

Inas*, une femme syrienne
Elle parle arabe la plupart du temps, bien qu'elle fût très heureuse de se présenter en anglais.

« – Comment as-tu appris l'Anglais ? Lui demandais-je.
– Ici, à l'école, répondu-elle, puis ajouté en arabe « شوي شوي » [Shway, shway]. Elle rit. Cela veut dire « Un peu ».

Elle a commencé son histoire. En Syrie, ils n'avaient pas de problèmes. Avant que la guerre et les conflits n'arrivent à sa porte, elle vécut très heureuse à Damas avec sa famille, composée de 6 filles et 2 fils. Elle travaillait dans une boutique de vêtements, et son mari était chauffeur de taxi. Quand il est devenu trop dangereux pour eux de rester, ils durent tout quitter et fuir au Liban.
Ils ont déménagé souvent. Au bout d'un moment, ils sont arrivés dans une ferme, quelque part au sud du Liban. Inas soupira. Elle dit ensuite qu'elle travaillait très dur, mais que ce n'était pas suffisant. Le propriétaire de la ferme souhaitait que ses filles travaillent également.

بدي أولادي يروحو يتعلمو
« Je veux que mes filles aillent à l'école. » dit Inas.

'Nous venions de la ville, elles n'avaient aucune idée de ce que travailler à la ferme veut dire. » expliqua-t-elle. La famille quitta alors la ferme pour s'installer à côté du camp d'Ouzaï, le camp de réfugiés syriens de Sidon.
Ce fut un douloureux moment pour Inas et sa famille. Son mari n'avait confiance en rien ni personne, et voyait le danger partout ; aussi il ne laissait jamais sortir, elle ou ses enfants. Inas n'avait même pas conscience qu'elle vivait juste à côté d'une communauté syrienne.
Pour la première fois durant notre conversation, sa voix se brisa, tandis que ses mains retombèrent sur ses genoux.

»

« Il n'y avait rien. Juste des problèmes. Je ne faisais rien. Je n'avais aucun ami à qui parler, aucun endroit où aller. »

Elle parla ensuite de la façon dont le temps ne s'arrêtait pas, peu importe notre voie. Elle se sentait perdue, était fatiguée, confuse, savait qu'elle vieillissait, se sentait morte.

« -Puis-je te demander ton âge ? Demandais-je alors.
-Trente-sept ans, répondu-elle.
– Ça n'est pas vieux ! » Rétorquais-je.

الحرب عملتنا أكبر من عمرنا –
« La guerre nous rend vieux. »

J'étais sidérée par son calme, sa force et son honnêteté.

« Qu'as-tu fais après ? Comment es-tu arrivé ici aujourd'hui ? » Demandais-je.

Elle poursuivit. Son mari finit par rencontrer des membres de la communauté d'Ouzaï, et apprit au sujet du staff de l'association qui venait tout juste d'ouvrir les portes de son école, courant Janvier 2016. En Janvier 2017, l'Inas commençait à faire partie du programme « Women's Empowerment » Proposé par SB Overseas. Elle suit alors les cours de crochet, de couture et d'anglais.


« Je me sens de nouveau vivante après être revenue à l'école. »

Elle me donna ensuite le nom d'anciens volontaires qui ont succédé à ses enseignants. Quand elle arriva à l'école, elle eut l'occasion de découvrir un endroit sûr, serein, où elle était traitée comme une vraie étudiante. Elle eut alors l'occasion de rencontrer d'autres femmes et de se faire de nouveaux amis. Ses enfants eurent le droit d'aller à l'école, et finirent par lui enseigner aussi l'anglais qu'ils apprenaient en classe. A la maison, pendant les repas, toute la famille révise ensemble les différents mots de vocabulaires appris comme « tomates », « pain », « riz », et « eau ». De temps en temps, ses enfants lui disent en anglais qu'ils ont besoin d'aller aux toilettes, et elle peut à présent comprendre le nouveau vocabulaire des réseaux sociaux, un monde où ses enfants évoluent, très éloignés de sa propre enfance.

Inas rit alors et explique à quel point apprendre ensemble a été un tournant décisif de sa vie de famille, rapprochant tous ses membres, y compris son mari. Il est à présent moins stressé et fier des nouvelles capacités de sa femme et de ses enfants.

« Mon mari a appris le Français en Syrie. Il aime les langues, donc il est très fier de moi qui apprend l'Anglais avec nos enfants. »

Inas explique qu'elle est arrivée avec rien et sans espoir. Maintenant, elle est optimiste concernant le futur :
"- J'ai des compétences à présent. Je peux lire des publicités, des annonces, les signes des panneaux de signalisation et d'avertissement. Je peux lire les étiquettes des médicaments pour mes enfants. De temps en temps, je travaille comme couturière. J'aime faire des robes et des pyjamas. J'aurais de bonnes opportunités quand je rentrerais en Syrie.
– Tu penses que tu retourneras en Syrie un jour ?

بلدي سوريا. بحب سوريا-
-La Syrie, c'est mon pays. Je l'aime. »

Inas sourit et parle de son amour pour la Syrie, mais aussi de l'espoir qu'elle porte pour ses enfants. Elle dit alors qu'elle veut retourner vivre en Syrie. Elle espère qu'elle-même et ses enfants pourront continuer de parfaire leur éducation, et peu importe l'endroit où ils se trouveront, elle sera heureuse.

. –
« Une personne illettrée est aveugle, elle ne peut rien remarquer autour d'elle. L'éducation ouvre les yeux. »

Inas*

Écrit par Sophia Louise
* Le nom a été changé

fr_BEFrench