Un soir de février, dans l'ombre de nuages noirs arrivant des montagnes vers Beyrouth, je suis monté dans un taxi à Gemmayzé, le quartier historique et bohème de la ville où s'entrecroisent hipsters et artistes. Je me suis préparé mentalement pour ma destination. Je pensais que les photos vues dans des articles de presse et ma propre image du quartier me préparaient à ce que j'étais sur le point de découvrir, mais j'avais tort.

Je m'appelle Katherine et travaille avec Jaz à The Worldwide Tribe. Je suis venue à Beyrouth pour une durée de trois mois dans le but de faire du volontariat avec SB Overseas, une jeune ONG bruxelloise avec laquelle nous étions en contact depuis un certain temps. Les opérations de terrain de SB se déroulent au Liban, où une équipe de professeurs, administrateurs et psychologues syriens se dédient à l'éducation et au soutien de réfugiés syriens, femmes et enfants, dans trois écoles respectivement à Arsal, Saïda et, à Beyrouth. Dans cette troisième école, au centre Bukra Ahla – « un lendemain meilleur » – la majorité des élèves sont originaires du camp de réfugiés de Chatila. Ce camp, établi en 1949 pour accueillir les réfugiés fuyant le conflit israélo-arabe, abrite aujourd'hui des milliers de réfugiés syriens.

Trouver un taxi acceptant de m'y emmener n'était pas choisi aisée. Beaucoup ont refusé catégoriquement, d'autres m'ont longtemps expliqué qu'il valait mieux que je ne m'abstienne. Enfin, j'ai trouvé un chauffeur coopératif, avec lequel j'ai passé le barrage auquel des militaires surveillaient les entrées et sorties. C'est alors que j'ai commencé à comprendre.

Je ne serais pas honnête si je n'évoquais pas mon sentiment de malaise en franchissant le barrage. Venant du beau quartier de Gemmayze, le contraste était saisissant. Je suis descendue du taxi dans une rue sale et poussiéreuse, dans laquelle le bruit aigu des machines à scier résonnait dans mes oreilles et les fumées de diesel emplissaient mes poumons. Wael, le manager du centre, m'a récompensée avec un grand sourire et a endossé mon sac à dos. Nous sommes montés ensemble dans un vieil immeuble pour arriver à l'appartement que je partageais avec sept autres volontaires pendant la durée de mon séjour, quelques étages seulement au-dessus de l'école. Ce soir-là, je suis allée me coucher tôt mais suis restée éveillée assez longtemps, me sentant coupable de mon malaise, avant de finalement plonger dans un sommeil tumultueux.

Le matin suivant, j'ai mis les pieds à Bukra Ahla. Le nœud dans mon estomac a rapidement commencé à se défaire à la vue des murs lumineux et colorés, des sourires accueillants et des refrains entraînants reprenant l'alphabet. Ma seule tâche pour la journée consistait à observer le déroulement des cours. Jamais auparavant je n'avais expérimenté un tel retour de situation émotionnelle. Voir les professeurs Syriens Ahmed, Ahmed, Safa et Abdhulla et les volontaires enseignant à des enfants dynamiques et drôles aussi bien l'anglais, l'arabe, les maths et les sciences que certaines compétences élémentaires m'a littéralement emplie de joie.

La semaine dernière, nous avons traversé la rue et nous sommes rendus pour la première au camp de Chatila, auquel nous ne pouvons accéder sans supervision. Aucune photo, aucun article n'aurait pu m'y préparer. Ce labyrinthe de ruelles étroites, sales, surpeuplées et humides, est à déconseiller à tout claustrophobe. En hauteur, des enchevêtrements de tuyaux et de câbles électriques forment un réseau humide et dangereux qui s'étend à travers le camp. Je pense alors aux enfants plus âgés, qui se souviennent encore de leur maison chaleureuse en Syrie, qui vont à l'école et rentrent chez eux tous les jours dans cet environnement. Je pense également aux plus jeunes enfants, qui ont toujours connu le camp, à leur manière de courir à travers nos classes, de monter sur les chaises et de toucher à tout avec leurs petites mains parfaites dans une curiosité enthousiaste et innocente, et ça me rend malade d'imaginer ces petites mains faire de même ici. Je me sens honteuse du malaise ressenti quand je suis arrivée. Je n'ai pas entendue un seul Syrien se plaindre de ses conditions de vie. Les mots 'malaise' et 'ténacité' ont d'autres significations ici.

SB Overseas peut certainement être considéré comme une lumière dans cet endroit obscur. Cette ONG, cette famille, construite par des réfugiés pour des réfugiés, se bat pour donner à ces enfants innocents et extraordinaires un endroit chaleureux pour qu'ils puissent apprendre, jouer, et simplement être des enfants. Ce combat sert à leur donner les opportunités, les espoirs et les rêves qu'ils aimeraient tellement. Il est primordial pour ne pas perdre une génération d'enfants merveilleux à cause d'une guerre qu'ils n'ont jamais demandée.

Bien que je souhaite sentir que rien ne me sépare de ma nouvelle famille qu'est SB et de ces enfants incroyables, il reste cette vérité désagréable mais inévitable : cette balade à travers les ruelles de Chatila provient d'un choix pour mon passeport britannique et moi-même. Pour eux, c'est une peine dont la fin est encore trop souvent floue. Je peux partir et rentrer chez moi dès que j'en ai envie. Eux pourraient ne jamais avoir ce choix.

C'est ainsi que, évoqué, j'ai réalisé d'où est venu mon malaise, à savoir de mon passeport et du pays privilégié dans lequel je suis né. Moi, et chacun d'entre nous, peut choisir de comprendre sa souffrance, ou de détourner honteusement notre regard et prétendre ne pas les voir. Nous pouvons choisir de les soutenir ou de passer notre chemin. De tout coeur, j'opte pour le premier choix et le referai jusqu'à ce qu'ils puissent vivre comme moi.

Je parlerai davantage de SB Overseas et vous présenterai certains de mes incroyables collègues et élèves dans les semaines à venir. SB ne peut pas continuer le boulot fantastique qu'il accomplit sans soutien. La moindre a choisi que vous puissiez donner une grande différence pour ces enfants, et le simple fait de lire ces messages et de s'engager à les soutenir est déjà suffisant. Merci pour votre soutien.

Donnez de l'espoir.

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Ecrit par la volontaire Katherina Hajiyianni

Publié par la première fois sur La tribu mondiale

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